Un porte-conteneur navigue le long de la voie maritime du Saint-Laurent. En 2015, le Québec s'est lancé dans une ambitieuse stratégie maritime, sorte de Plan Nord pour le fleuve et le littoral de la province. Le gouvernement esèpre notamment quadrupler le nombre d'emplois directs du secteur maritime qui passeraient de 10000 à 40000. Chaque année, c'est 110 millions de tonnes de marchandises qui sont transbordées dans les ports du Québec. Les consommateurs en dépendent pour leur épicerie et plusieurs grandes entreprises comme les alumineries pour leur fonctionnement au quotidien.
Chaque matin, à l’aube et au coucher du soleil, un hélicoptère de reconnaissance de la Garde côtière canadienne s’envole du brise-glace Amundsen, stationné pour l’hiver au port de Trois-Rivières. Outre le pilote, on trouve à son bord un unique passager, un spécialiste des glaces d’Environnement Canada, dont la mission est d’analyser et de cartographier l’état des glaces sur une portion du fleuve Saint-Laurent allant de Beauharnois à Deschambault-Grondines en passant par le lac Saint-Pierre.
La principale mission de la Garde côtière canadienne est de s’assurer que les navires commerciaux peuvent circuler en tout temps et sans risque sur la voie navigable du Saint-Laurent. Achevé en 1959, le chenal est un long ruban creusé de 250 mètres de large pour 9 à 12 mètres de profondeur, qui s’étend sur 318,5 kilomètres de Banc-Brûlé (Nord de l’île d’Orléans) à Montréal. La voie navigable, elle, fait près de 3700 km, de l’océan Atlantique jusqu’à Duluth, Minnesota, sur le lac Supérieur. Durant l’hiver, elle n’est cependant navigable que jusqu’à Montréal.
Chaque hiver depuis les années 1960, les brise-glaces de la Garde côtière canadienne sont affectés au déglaçage du fleuve Saint-Laurent entre Québec et Montréal, afin de maintenir navigable ce lien commercial, essentiel à l’économie de l’Amérique du Nord. Depuis 35 ans, les navires des garde-côtes peuvent également compter sur l’aide précieuse d’hélicoptères de reconnaissance qui sont leurs yeux en amont et en aval de leurs ports d’attache. L’actualité a embarqué à bord du brise-glace Amundsen pour découvrir les coulisses de ce défi hivernal. À l’assaut des glaces du Saint-Laurent 416 Plein écran Précédent Suivant Deux fois par jour depuis l’hiver 2015, la spécialiste des glaces d’Environnement Canada Andreanne Barnes observe et analyse l’état des glaces sur le fleuve avant d’en cartographier les caractéristiques selon un code couleur qui indique leur concentration, leur type et leur épaisseur. Sur la même carte, elle dessine également le tracé de la banquise côtière des deux rives du fleuve. Avant même le retour de l’hélicoptère au bateau, elle a déjà envoyé ses données au Centre des glaces de la Garde côtière, dans le Vieux-Montréal, qui les mettra en ligne sur le site d’Environnement Canada.
Vues aériennes des glaces qui obstruent la voie navigable du Saint-Laurent. Depuis une altitude de 500 à 1 000 pi, la spécialiste est capable d’estimer l’épaisseur de la glace ainsi que son type. En haut à droite, une structure de type Nila, mince et élastique, qui laisse transparaître l’eau et apparaît plus sombre. En bas, des structures de type Sarrasin, formées par l’accumulation de petits morceaux de glace qui s’agglomèrent les uns aux autres. Leur épaisseur peut dépasser 1 m, mais les blocs restent friables. Ce matin-là, les glaces observées n’étaient pas suffisantes pour empêcher la navigation, mais quelques heures peuvent suffire à tout chambouler.
En un peu plus d’une heure et à une vitesse moyenne de 180 km/h, l’hélicoptère couvre une distance d’environ 200 km aller-retour entre Sorel-Tracy et Deschambault-Grondines. Très maniable, l’appareil est idéal pour ce type de mission. Le pilote, Dick Morissette, est capable de le stationner à seulement 20 pi au-dessus d’un bloc pour en évaluer l’épaisseur, ou même de se poser sur la banquise côtière pour y effectuer des prélèvements. Les données récoltées en hélicoptère viennent compléter les informations des satellites et des avions qui patrouillent à plus haute altitude.
Peu avant le coucher du soleil, l’hélicoptère rentre de sa deuxième mission quotidienne et se pose sur le brise-glace en déplacement. Durant les quatre dernières années, la Garde côtière canadienne a renouvelé son parc d’hélicoptères et elle possède maintenant 15 appareils de l’entreprise Bell Helicopter. Avec quatre appareils, la base de Québec est la plus importante au Canada. Pendant la saison hivernale, les deux brise-glaces, Radisson à Québec et Amundsen à Trois-Rivières, en utilisent chacun un en permanence.
Dick Morissette, 46 ans, est pilote d’hélicoptère depuis 1994. Au fil de sa carrière, il a travaillé en haute mer sur des plateformes pétrolières, aux Philippines, en Bosnie, ou encore en Irak avec les Nations unies. Depuis 2011, il est pilote pour Transports Canada, affecté en permanence à la Garde côtière canadienne. Pour l’heure, Dick Morissette ne s’inquiète pas d’être un jour remplacé par un drone. «Ils n’auront pas la capacité de faire ce que l’on fait», estime-t-il, même s’il reconnaît que ce seront de précieux outils complémentaires. «Il y aura toujours de la place pour l’humain, car c’est un travail d’équipe.»
Après sa mission du matin, la spécialiste des glaces Andreanne Barnes effectue son rapport auprès du commandant de l’Amundsen, Alain Gariépy. Ensemble, ils analysent l’évolution de la situation dans le secteur, l’apparition de fissures dans la banquise côtière, les blocs à la dérive et les goulets d’étranglement à la sortie du lac Saint-Pierre. C’est en fonction de ces informations que le commandant peut décider d’intervenir de manière préventive dans certaines zones. «Même si une heure d’hélicoptère coûte 1 500 dollars, c’est de l’argent très bien dépensé, car ça évite de devoir faire la même reconnaissance avec notre brise-glace, ce qui coûterait bien plus cher.»
Le commandant Gariépy, 53 ans, est un «enfant de la Garde côtière». Passionné de navigation depuis sa plus tendre enfance, il s’est enrôlé à l’âge de 17 ans au Collège de la Garde côtière canadienne à Sydney, Nouvelle-Écosse, pour devenir officier de navigation. Il a ensuite gravi les échelons en naviguant sur tous les types d’embarcations de la Garde côtière, des plus petites vedettes de sauvetage aux brise-glaces, en passant par les aéroglisseurs, que ce soit sur le fleuve, dans le golfe ou en Arctique.
Le brise-glace Amundsen au port de Trois-Rivières. Construit en 1979, le navire de 98 m de long sur 20 m de large est équipé de moteurs d’une puissance de 10 000 kW, deux fois plus que la normale pour une embarcation de cette taille. Les 37 membres d’équipage y vivent en état d’alerte permanent et suivent les quarts de surveillance de la navigation même lorsque le bateau est à quai. En cas de besoin, le brise-glace doit être sur les lieux d’une intervention en moins d’une heure.
En milieu d’après-midi, le Centre des glaces de Montréal a transmis une demande d’intervention à l’Amundsen. Le brise-glace fait route vers le port de Bécancour, à 20 km au sud-est de Trois-Rivières. Les compagnies de transport maritime ou les capitaines de navire font appel au Centre des glaces en cas de besoin, et ce dernier répartit les appels en fonction des différents secteurs. En contrepartie, les utilisateurs commerciaux versent des droits de services maritimes pour contribuer à rembourser une partie des coûts. L’Amundsen effectue généralement une quinzaine de sorties par mois, à la suite d’un appel ou de manière préventive grâce aux observations de l’hélicoptère.
Le porte-conteneurs Mandarin doit quitter le port de Bécancour à 18 h et l’Amundsen intervient quelques heures avant afin de lui frayer un passage. Le brise-glace est intervenu au port trois jours auparavant lors de l’arrivée du même navire, mais depuis, une couche de glace de 20 à 30 cm a eu le temps de se reformer à l’abri du brise-lames. L’entretien périodique de certaines zones côtières est essentiel non seulement pour la navigation, mais également pour éviter les embâcles qui pourraient provoquer des inondations.
C’est tout en finesse que le commandant Gariépy manie son mastodonte de 8 000 tonnes pour déglacer le port. Par endroits, la coque de l’Amundsen est jusqu’à cinq fois plus épaisse que celle d’un navire normal. Grâce à ses deux hélices, il peut naviguer aussi bien en marche avant qu’en marche arrière. Très maniable, le navire peut également utiliser la force du jet de ses hélices pour compléter le travail et s’approche parfois à 10 m à peine du porte-conteneurs.
Alors qu’à la timonerie on s’affaire à déglacer le port de Bécancour, toute une partie de l’équipage profite d’un peu de repos. Ici, le deuxième officier Mathieu Huet dans la salle de sport du navire. Sur l’Amundsen, on travaille sept jours sur sept durant quatre semaines et les journées peuvent parfois durer 12 heures ou plus.
Un porte-conteneurs se fraie un chemin dans l’épaisse brume qui recouvre le fleuve au petit matin. Fin 2016, dans une lettre adressée au gouvernement fédéral, le ministre délégué aux Affaires maritimes du Québec, Jean D’Amour, s’inquiétait de l’état de vétusté des brise-glaces du fleuve Saint-Laurent, dont l’âge moyen est de 36 ans. Selon une enquête de Radio-Canada, des entreprises comme Rio Tinto, à Saguenay, souffrent de problèmes d’approvisionnement, et Pêches et Océans Canada juge la situation critique.